Gestion de la performance dans les systèmes industriels Jean Vieille SyntropicFactory, Control Chain Group, Interaxys j.vieille@syntropicfactory.com Abstract. La gestion de la performance est souvent réduite à la définition et au suivi d’indicateurs censés représenter l’état plus ou moins satisfaisant de l’entreprise ou de ses sous-ensembles et guider les efforts d’amélioration par la réduction de la complexité des systèmes concernés à quelques chiffres intelligibles. Ces indicateurs ne sont pas des mesures neutres : l’observateur agit nécessairement sur l’observé, induisant des changements de comportement. Ce n’est donc pas temps la mesure elle-même qui importe, mais la réaction de l’observé et l’évolution du système qui s’ensuit. Cet article explore la généralisation interactionnelle de la gestion de la gestion de la performance. 1. Introduction Organisme sociotechnique complexe et vivant, l’entreprise industrielle doit son existence et sa survie à sa capacité à se remodeler en permanence pour réagir aux contraintes de son environnement, aux exigences de ses parties prenantes. Les développements des sciences cybernétiques et systémiques ont permis des avancées significatives dans la gestion de l’organisation interne, de la gouvernance et des relations externes de l’entreprise. Les interactions internes, qu’elles soient de nature mécanique, sociale ou informationnelle régissent le comportement global, l’émergence des caractéristiques propres du convertisseur de matière, énergie et information que constitue un système industriel. La gestion de la performance est une fonction critique de l’entreprise parce qu’elle agit sur le comportement des différentes entités organisationnelles, déterminant la nature même de l’entreprise. Elle agit en parallèle et de façon découplée avec la chaine décisionnelle qui détermine le plan d’action opérationnel, pour mettre en place des indicateurs de rétroaction dans les boucles « amélioration continue » (DMAIC, PDCA…). A la base liée aux activités opérationnelles, la performance prend un sens de plus en plus proche des objectifs globaux de l’entreprise en gravissant la hiérarchie décisionnelle : la réponse aux attentes (exigences, contraintes) de l’environnement et des tiers. Cette gestion locale peut être complétée par une gestion centralisée qui vise souvent à standardiser – et donc à imposer – les indicateurs et les moyens techniques pour des entités équivalentes de l’entreprise, dans le but de pouvoir la contrôler à tous les niveaux. 2. Problématique La notion de performance est à la fois évidente, et plus délicate qu’il n’y parait. La gestion de la performance aux niveaux local et global, confrontée à la nature complexe de l’entreprise peut s’avérer inefficace, voire nuisible. Voici quelques éléments qui ne sont pas toujours pris en compte dans la pratique. Global vs local On a suffisamment répété que l’optimum d’un système ne correspond pas à l’optimum de chacun de ses sous-ensembles. Ainsi « faire du mieux possible » est une directive qui peut s’avérer néfaste en plus d’être difficile à traduite en actes concrets. La nature systémique complexe, organismique de l’entreprise fait qu’un tel comportement local optimisé peut porter préjudice à d’autres parties de l’entreprise ou gaspiller des ressources précieuses. De plus, la responsabilité de la réalisation d’objectifs de performance ne dépend pas uniquement du bon vouloir individuel. Elle est largement contrainte par le contexte, et en particulier par le niveau d’autonomie accordé à l’entité concernée. Par exemple, si pour attendre l’objectif de réduire les coûts de maintenance de 50%, il est nécessaire soit d’acheter de nouveaux équipements, soit de réduire les temps d’ouverture, le responsable de la maintenance n’aura pratiquement aucun pouvoir pour mettre en œuvre l’une ou l’autre option qui compromettrait le palmarès de ses collègues de la gestion financière et de la production. De même, les restrictions d’investissement à haut niveau impactent directement l’aptitude à atteindre les objectifs assignés. Penser globalement, agir localement : comment ? Il suffirait donc que les responsables de chaque unité organisationnelle aient bien en tête les objectifs de l’entreprise. Les responsables vont donc agir de manière altruiste et privilégier les comportements qui serviront au mieux l’entreprise… en allant même jusqu’à se sacrifier ? En réalité, un système intelligent, viable, comme un être humain agira d’abord pour sa propre survie. Cette approche est illusoire, car elle repose sur des illusions : celle du responsable persuadé de la visée stratégique globale de son action alors que son sous-système dont il n’est qu’un composant vise à son insu sa survie à tout prix, et celle du même responsable conscient de cette situation qui biaisera les mesures pour prouver sa loyauté, illusion à destination de son supérieur. L’adage n’est pas faux, mais il n’est pas applicable spontanément en dehors des toutes petites entreprises ou la solidarité résulte de l’incapacité du système à survivre en cas de défaillance d’un seul de ses composants. Il faut donc trouver d’autres moyens de s’assurer que la transformation locale s’opère au bénéfice global de l’entreprise malgré le manque de visibilité ou de motivation directe envers les objectifs supérieurs. Dynamique et instabilité La gestion de la performance est généralement perçue comme l’affichage de valeurs dont l’interprétation est instantanée. On observe les valeurs et leur évolution dans le temps, et on en déduit une appréciation statique. La mise en place d’un indicateur de performance instaure en fait un système de régulation avec sa boucle de rétroaction appliqué à un système dont la fonction de transfert de l’indicateur comporte des retards et des anticipations d’ordre plus ou moins élevé, des non linéarités et bien sûr du bruit sur la mesure et des perturbations de grandeurs corrélées. L’observation de l’évolution de l’indicateur devrait prendre en compte cette dynamique pour ajuster les paramètres de l’indicateur et interpréter les résultats sous peine d’engendrer de l’instabilité. Conflits Les mesures de performance ne reflètent pas toujours la réalité. Il peut s’agir de mesures difficiles à effectuer mais il faut surtout évoquer les situations assez fréquentes où le système mesuré peut être conduit à rapporter des valeurs faussées dans le but de satisfaire son supérieur. De même, un système peut envoyer des leurres à destination des entités compétitives. Ces stratégies de survie sont révélatrices de conflits que la gestion de la performance peut facilement engendrer et qu’elle doit veiller à détecter et conjurer. Pertinence La gestion de la performance a pour objectif d’impacter le comportement et donc d’orienter la transformation du système. Les scores obtenus sont donc moins importants que l’évolution des comportements qui en résultent. On doit ainsi remonter à la question de l’utilité, de la pertinence même de l’indicateur de performance qui doit être justifié par des objectifs de plus haut niveau. Echelle de variété Système complexe, système de systèmes récursifs, une entreprise met en œuvre des flux informationnels qui réalisent la plupart de ses interactions. Chaque soussystème peut prendre un certain nombre d’états possibles qui constitue sa variété. On peut considérer les flux informationnels comme des prescriptions ou commandes et des observations ou mesures, entre des systèmes dont ils véhiculent des représentations d’une partie de ces états (qu’ils révèlent ou prescrivent). Les prescriptions correspondent à une amplification de la variété parce qu’un ordre donné par un supérieur possède un niveau de variété bien inférieur aux activités qu’il va déclencher. Inversement, une observation transmise d’un système à l’autre est une réduction, un filtrage de la variété des activités rapportées sous forme d’une représentation simplifiée, voire grossière. La gestion de la performance est un exemple typique : quelques chiffres vont synthétiser une situation très complexe pour la qualifier de bonne ou mauvaise. Inversement les prescriptions de performance, très simples à émettre, peuvent induire des modifications importantes dans le système cible. A la différence de la chaine décisionnelle opérationnelle, elle agit non sur le comportement immédiat de l’entreprise, mais sur son évolution qui sera déterminée par toutes les excitations comportementales qu’elle suscite. On doit donc s’intéresser à la cohérence de la gestion de la performance à travers toute la hiérarchie systémique de l’entreprise pour que ces transformations contribuent de manière additive au résultat recherché. Rôle global de la gestion de la performance On gère parfois la performance comme un organe central en charge de la définition de la performance dans toute l’entreprise. Cela se révèle impraticable du fait de l’extrême complexité de l’entreprise qui amènerait un département opérationnel de « Gestion de la Performance » à devoir s‘approprier toutes les caractéristiques comportementales de l’entreprise. Les prescriptions de performance conçues par des systèmes autres que ceux qui sont en interaction directe avec le système considéré risquent fort d’être inappropriés, illégitimes, et donc inefficaces. Le jeu de la performance ne devrait s’exercer principalement qu’entre entités en relation directe, le rôle central de la gestion de la performance pouvant si situer au méta-niveau de définition des processus de gestion et de services applicatifs pour faciliter la mise en œuvre. 3. Une approche interactionnelle de la performance Comme nous venons de le voir, la gestion de la performance est de nature complexe par l’intrication interactionnelle qu’elle suscite. Comment assigner les objectifs de performances, qui doit les assigner et selon quels critères ? Si une approche globale n’est pas possible, comment peut-on motiver l’amélioration continue locale pour le bien de l’entreprise, préservant sa dynamique autopoïétique à tous les niveaux ? Des éléments de réponse viennent d’être suggérés dans l’exposé de la problématique, nous allons tenter d’y mettre de l’ordre. Induction comportementale La performance ne constitue pas nécessairement un objectif absolu, signifiant en lui-même. Elle se gère à tous les niveaux de l’entreprise, sorte de chiffons rouges agités pour encourager les comportements favorables à l’ensemble, ou inversement. Plus que les résultats obtenus, c’est l’aptitude les moyens choisis à faire évoluer favorablement la nature de l’entreprise – quel que soit le niveau considéré – qui importe. Nous utiliserons ainsi le terme d’inducteur comportemental pour désigner les multiples moyens de de faire évoluer spontanément l’entreprise, y compris, mais pas seulement les fameux « indicateurs de performance ». Les inducteurs comportementaux agissent à la fois sur le système géré que sur le système gérant. L’un et l’autre réagissent aux stimuli de l’interaction contractuelle de la performance : - Le système qui fait l’objet de l’induction réagit pour la satisfaire - Le système qui prescrit l’inducteur réagit à l’évolution comportementale induite sur l’atteinte de ses propres objectifs. Performance et intelligence La performance est une notion purement tactique. Les objectifs assignés, même en apparence fondamentaux (réduire les coûts, augmenter les ventes, accélérer l’innovation, améliorer la qualité) ne sont que des caractéristiques recherchées pour tenter d’infléchir la nature du Système Entreprise afin de le rendre capable d’accomplir durablement sa mission. L’Intelligence résume son aptitude à se former, s’organiser, se transformer pour assurer sa survie en satisfaisant ses parties prenantes, son environnement. L’accomplissement d’objectifs de performance doit donc correspondre à une évolution de comportement qui contribue à rendre l’entreprise plus intelligente, à satisfaire ceux que son existence impacte, directement concernés par l’activité de l’entreprise et qui peuvent l’éliminer si elle ne les satisfait pas : Les actionnaires, es employés, les clients, les fournisseurs, les Etats, la Nature… Déterminer les critères du quotient intellectuel de l’entreprise est un exercice sensible, à la fois subjectif (évaluation par les tiers concernés) et objectif (réalité de la durabilité). Sans développer ici ce sujet, il est important d’établir la nature tactique, pratique de la gestion de la performance au service d’une activité supérieure de transformation permanente de l’entreprise pour s’adapter à son environnement et survivre. Le mot « performance » doit donc être pris au sens anglophone d’accomplissement plutôt qu’au sens francophone d’exploit. Responsabilité de la performance La performance possède une dualité paradoxale : de nature locale, elle concerne un périmètre précis, un sous-système particulier dont elle oriente les comportements. Mais en même temps, la réalisation des objectifs assignés entre dans celle d’objectifs supérieurs, depuis ceux du système directement supérieur jusqu’à l’accomplissement ultime de l’intelligence de l’entreprise dans son ensemble. Chaque sous-système est responsable et acteur direct de sa performance et de sa propre transformation. On peut désigner la personne à la direction du sous-système comme étant son représentant, mais ce rôle ne présume pas de sa part de responsabilité dans la transformation à laquelle il est contributeur comme ses collaborateurs. Il redevient pleinement responsable lorsqu’il se comporte lui-même en système supervisant la performance d’autres systèmes, ses collaborateurs. En exerçant cette responsabilité, il agit pour se transformer par des actions internes et prescrit des directives aux systèmes dont il est responsable ou qu’il intègre pour les faire évoluer. Approche interactionnelle de la Performance Nous devons tout d’abord considérer la réalité structurelle de l’entreprise, constituée d’une hiérarchie de sous-systèmes ayant un certain degré d’autonomie, supervisés par leur niveau supérieur, supervisant leur niveau inférieur, observant leur collatéraux, interagissant avec l’environnement, l’écosystème dont fait partie l’entreprise. Les comportements de chaque sous-système sont guidés par leur propre nature, qui résulte en particulier des interactions internes, avec les autres soussystèmes de l’entreprise et l’environnement, l’écosystème. Les inducteurs comportementaux peuvent être vus comme des interactions contrôlées qui visent explicitement à modifier les comportements de l’autre pour le bénéfice de celui qui l’exerce, avec l’assentiment conscient ou non de celui qui les subit. L’inducteur comportemental possède donc 2 pôles : un émetteur qui produit le message d’induction, un récepteur qui réagit aux excitations de l’inducteur. Côté émetteur, il correspond à une prescription à destination du récepteur, et une perception de l’évolution comportementale résultante (pour vérifier la pertinence de l’inducteur). Côté récepteur, il correspond à une excitation qui déclenche une réaction. Chacun de ces sous-systèmes n’a qu’une vue limitée sur son environnement, ses super-systèmes et ses collatéraux. Inversement il ne révèle qu’une partie de sa réalité. D’un point de vue local, chaque sous-système va déterminer son comportement en fonction des inducteurs qui lui sont appliqués. Il essaiera de la même manière de modifier le comportement de ceux qu’il est en mesure d’influencer pour tenter d’améliorer la satisfaction des inducteurs qui lui sont appliqués. Ce modèle est donc récursif (verticalement dans la hiérarchie de commande du système) et corrélé avec les systèmes collatéraux. L’induction comportementale se propage principalement de haut en bas de la hiérarchie de l’entreprise, qui constitue donc l’axe principal de son évolution dirigée. Elle bénéficie d’un effet d’amplification à 2 dimensions : la multiplication des soussystèmes du haut vers le bas et le rapport de variété très important de l’inducteur comportemental car les mesures prises par un sous-système en réponse à un inducteur sont bien plus complexes que le contenu informationnel de l’inducteur. Partant de la direction, les objectifs sont assignés et interprétés à chaque niveau. Au niveau supérieur, les objectifs stratégiques sont déterminés par la direction de façon à accomplir efficacement la mission de l’entreprise. A ce niveau, ils prennent en compte les relations que l’entreprise entretient avec son environnement : partenaires clients et fournisseurs, actionnaires, employés, Société, Nature… Ces objectifs peuvent être de nature quantitative ou qualitative, financière, matérielle, énergétique, informative ou éthique. Par exemple, la direction décide de porter ses efforts sur la rentabilité financière, c'est-à-dire le flux de trésorerie rapporté aux capitaux propres. Il pourrait tout aussi bien décider de favoriser l’accroissement de la valeur ajoutée ou la part de marché sur une gamme de produits, ce qui impliquerait un comportement très différent. En descendant dans la hiérarchie, les objectifs changent de nature pour correspondre au rôle opérationnel du sous-système. L’induction comportementale est appliquée vers les systèmes inférieurs ou corrélés de façon la faciliter la réalisation de ces objectifs. Le poids, la nature et le type de cette induction devront tenir compte des autres facteurs comportementaux internes et externes dont les effets s’y opposeraient. Le cas échéant, les objectifs eux-mêmes pourraient être revus en recherchant des options plus adaptées. Typologie des inducteurs comportementaux La notion d’inducteur comportemental correspond à un élargissement sensible de l’entendement commun de la performance. Nous proposons ci-dessous quelques exemples pour illustrer la généralisation du concept de gestion de la performance induit par cette approche. Indicateur de performance C’est le premier type qui vient naturellement à l’esprit. L’indicateur de performance est un critère mesurable qui rend compte de l’aptitude d’un système à le satisfaire. Ce critère est généralement lié à une recherche d’efficacité économique. La rétroaction est directe, la mesure étant de même dimension que l’objectif fixé – ou sa tendance. La définition et la mise en place d’indicateurs de performance est un processus de base de l’amélioration continue du système industriel. On peut s’appuyer les standards (APICS, ISO22400, SCOR…) et faire son marché de façon empirique. Le danger est de ne pas choisir les bons indicateurs, de compliquer le travail des exploitants, de passer à côté d’une opportunité de différenciation et d’oublier de tenir compte de la cohérence systémique dans la recherche de performance. Le TRS (Taux de Rendement Synthétique) est bien connu et très populaire : augmenter la disponibilité, et la qualité, diminuer les pertes sont des objectifs de bon sens. Pourtant, les efforts et les moyens investis pour mettre en place les moyens nécessaires à sa mesure fiable et dépensés pour faire fonctionner le système de mesure et améliorer continuellement les résultats doivent être mis en regard des objectifs réels à attendre. Par exemple, l’augmentation des composantes « performance » ou « disponibilité » n’est pas pertinente si la capacité de la machine dépasse largement le flux de production moyen. Le suivi de la seule composante qualité sera beaucoup plus simple et efficace. Exposition L’exposition consiste à offrir une visibilité de premier plan à une information présentée de manière neutre et factuelle. La nature même de cette information interpelle le récepteur qui réagira à ce stimulus. Un exemple bien connu est celui d’Andrew Carnegie qui parvint à doubler la productivité d’une unité de production métallurgique en donnant simplement la consigne au chef d’équipe de noter la production de son quart au tableau et de demander à son successeur de faire de même. Le même principe est utilisé par Bison Futé, qui « prévoit » l’intensité du trafic afin d’encourager les automobilistes à choisir les périodes « vertes » pendant lesquelles des bouchons inattendus finissent par se former… Publicité La publicité consiste à exposer de manière attractive et insistante un élément d’information susceptible d’induire le comportement escompté. L’efficacité de l’inducteur est plus difficile à établir parce que le message exposé peut être métaphorique, enluminé et/ou subliminal. Exemplarité L’exemple est une variante de la publicité, tendant à valoriser un comportement vertueux. Il est plus simple à évaluer que la publicité parce qu’il est associé au comportement visé. Propagande La propagande est une déviance de la publicité qui expose un message volontairement faussé par rapport à la « vérité » perçue par l’émetteur. On peut influencer de manière radicale les comportements en faussant la perception du récepteur. La propagande est très efficace parce qu’elle élargit le champ des possibles et qu’elle bénéficie des lois de rémanence informationnelle : l’assimilation, l’ancrage d’une information est favorisée par sa répétition et l’émotion associée. Pour résumer les bases de la propagande : un mensonge suffisamment répété devient une vérité, d’autant plus facilement qu’il est incroyable. Cet outil de base en politique est assez peu utilisé dans les systèmes industriels. Comme la publicité, l’efficacité de la propagande est délicate à évaluer. Elle est de plus difficile à contrôler ou corriger du fait de la persistance lié à sa nature. Fuite « Fuiter » une information consiste à la rendre accessible tout en la faisant passer pour confidentielle. La cible réagira de manière particulière en croyant que la source ne désire pas que l’information soit connue. Un tel inducteur est présumé de nature évènementielle, et ne devrait donc pas être utilisé de manière récurrente. Suppression Supprimer une information consiste à ne pas propager vers celui à qui elle est normalement destinée. C’est un « inducteur négatif », qui prévient l’évolution du comportement qu’entrainerait la connaissance de cette information. Le responsable du démarrage d’une grande entreprise de générateurs de vapeur éliminait systématiquement des rapports de mises en route les suggestions de modifications en provenance des chantiers. « Il vaut mieux faire 100 fois la même erreur que 100 erreurs différentes… » Boucle algédonique Un type particulier d’inducteur a été introduit dans le Viable System Model[X] pour assurer un bouclage sensoriel dans la hiérarchie de commande. La boucle algédonique est une information de retour en provenance des soussystèmes jusqu’à la profondeur désirée, potentiellement jusqu’au plus bas niveau. Elle permet d’apprécier le plaisir (ἡδονή) ou la souffrance (ἄλγος) ressentis aux niveaux inférieurs, indicateur vague et global, mais essentiel. Le VSM l’applique dans l’appréciation par le système 3 (supervision) des difficultés interactionnelles des systèmes 1 (opérations) et par le système 5 (direction) pour les relations entre le système 3 (supervision) et le système 4 (transformation). Cet inducteur est applicable et appliqué - de manière bien plus générale. Ce type d’inducteur est utilisé par les dirigeants d’entreprises ou de gouvernements lorsqu’ils vont à la rencontre de leurs employés / concitoyens, manière anonyme ou (moins efficacement) ostentatoire. Il consiste par exemple à évaluer le moral des personnes lors de rencontres inopinées, autour de la machine à café, dans des bans de foules, lors d’entretiens programmés, à l’aide de boîtes à idées / complaintes anonymes… Des mesures indirectes peuvent être également révélatrices : ponctualité, absences. Cet inducteur est purement réflexif : contrairement aux précédents, il est uniquement destiné à celui qui l’exerce pour l’aider à modifier son propre comportement, et à réviser les objectifs comportementaux de ses sous-systèmes. Attributs des inducteurs comportementaux Visibilité La visibilité d’un inducteur comportemental est déterminante pour son efficacité. Cette visibilité peut être différente selon que l’on considère l’inducteur lui-même (sa signification, son existence), les valeurs assignées et les valeurs obtenues. - Public : aucune restriction - Privé : La visibilité de l’inducteur est contrôlée. A la limite, l’inducteur peut même ne pas être connu de celui qui en fait l’objet. Dans ce cas, il n’a pas d’effet direct sur le système géré, mais reste efficace sur le système gérant Cardinalité - Exclusif : l’inducteur est personnalisé pour un récepteur unique - Partagé : L’inducteur s’applique de la même façon à plusieurs récepteurs - - Fermé : l’inducteur est bidirectionnel : à une excitation correspond une réaction observable Ouvert en prescription : l’inducteur ne correspond pas à un objectif, une intention particulière ; Il existe à l’insu de l’émetteur et entraine des réactions inattendues des récepteurs. Il mérite d’être cité parce qu’il peut être à l’origine de comportements indésirables. Au lieu d’être défini, il doit être identifié et éventuellement neutralisé. Par exemple, un gestionnaire de stock de matières premières s’assure d’un niveau minimal suffisant pour gérer la demande en tenant compte du foisonnement des ordres de prélèvement et la marge temporelle de réponse. S’il laisse cette information visible, les responsables des unités de production vont instinctivement agir pour se protéger d’un danger possible de rupture d’approvisionnement, et imposer au gestionnaire de remonter ses niveaux de stock pour faire face aux irrégularités ainsi induites de la demande. Ouvert en perception : l’inducteur n’applique pas de prescription, mais observe le comportement de l’autre Style de motivation - Encouragement o le récepteur agira pour améliorer sa satisfaction (ou éviter une insatisfaction) personnelle - Socialité o Le récepteur agira pour améliorer sa respectabilité sociale (ou éviter une dégradation) - Crainte o Le récepteur agira pour éviter un danger personnel ou collectif Persistance - Permanent ou récurrent : l’inducteur fait l’objet d’un traitement continu, permanent - Evénementiel : l’inducteur constitue une occurrence unique. Evaluation des inducteurs comportementaux Ceci nous conduit au cœur de la gestion de la performance : comment évaluer non pas la performance elle-même, sujet trivial purement tactique, technique, mais la pertinence des inducteurs utilisés par un sous-système particulier et leurs attributs visà-vis des objectifs fondamentaux du système supérieur, l’intelligence de l’entreprise elle-même. La nature fractale de l’entreprise rend difficile, sans doute illusoire et probablement inutile l’idée de prétendre contrôler de manière centralisée les politiques locale de gestion de la performance. La notion de performance et la contribution à l’intelligence de l’entreprise doivent en pratique être traitées au niveau de chaque sous-système. Dans la mesure où chacun d’eux cherche à mieux répondre au système supérieur en influençant les systèmes inférieurs, le système global, l’entreprise, évoluera naturellement vers la satisfaction du système dans son ensemble. La seule question qui se pose alors est d’évaluer l’efficacité du contrôle comportemental dans chaque sous-système. On garantit ainsi la pertinence des inducteurs dans toute l’entreprise. En pratique, les interactions collatérales peuvent compliquer cette simplicité apparente. En effet, les systèmes adjacents sont potentiellement en compétition pour répondre à des inducteurs issus de systèmes supérieurs eux-mêmes souvent compétitifs. Les sous-systèmes utilisent également des inducteurs à destination de leurs collatéraux pour impacter leur comportement de manière potentiellement antagoniste aux prescriptions hiérarchiques du récepteur. La gestion de la performance au niveau d’un sous-système comprend les éléments suivants : Définition des objectifs internes Les objectifs de progrès du sous-système sont motivés par le jeu complexe des interactions internes et externes, dont les inducteurs comportementaux perçus de ou prescrits par d’autres systèmes. La genèse de ces objectifs importe peu dans la mesure où nous nous intéressons à l’influence des inducteurs comportementaux, jugés seulement à partir du sous-système émetteur. En effet, ces objectifs évolueront d’euxmêmes et il appartiendra au sous-système émetteur d’apprécier l’évolution favorable du comportement résultant. Gestion des objectifs externes Les objectifs internes dictent ceux (externes) que le sous-système cherche à faire réaliser par les autres systèmes qui impactent sa capacité à les réaliser et qu’il est en mesure de contrôler. La gestion de ces objectifs consiste à surveiller que leur réalisation a bien l’effet escompté sur les objectifs internes, et qu’ils sont toujours en phase avec leur évolution. Au besoin, ils sont modifiés pour assurer le meilleur soutien possible aux objectifs internes. Gestion des inducteurs comportementaux Les objectifs externes sont traduits en inducteurs comportementaux pour émettre des prescriptions concrètes à destination du récepteur, susceptible de faire évoluer son comportement. La gestion des inducteurs s’assure de : 1. L’acceptabilité de l’inducteur (le cas échéant). Le récepteur doit apprécier l’inducteur, c'est-à-dire croire dans son utilité et accepter la surcharge opérationnelle qu’il peut entrainer. 2. la mesurabilité des réactions 3. la corrélation avec les excitations produites par les prescriptions 4. l’efficacité de l’impact sur la réalisation des objectifs externes 5. Pour les inducteurs ouverts en perception : l’efficacité de l’impact sur les objectifs internes Dynamique des rétroactions L’induction comportementale vise à atteindre asymptotiquement un objectif de comportement idéal. La boucle de l’induction comportementale implique donc une rétroaction négative où l’écart est une incitation à se rapprocher de l’objectif. Par contre l’effet immédiat recherché par l’induction pour susciter la transformation peut au contraire être une incitation à s’éloigner de la situation actuelle, et donc installer une rétroaction positive : l’obtention de bons résultats est une incitation à faire encore mieux. Ceci est particulièrement vrai pour les indicateurs de performance. On aura donc affaire à 2 types de réponse : une réponse immédiate à l’inducteur, de constante de temps relativement faible, à rétroaction souvent positive et une réponse différée, lente d’évolution comportementale à rétroaction négative. Cette dynamique doit être observée attentivement. Un sous réglage produira peu d’effets, un sur-réglage de l’instabilité. La gestion de la performance n’a aucune prise sur la dynamique du sous-système (du moins à court terme, car elle peut viser une modification de cette dynamique). Elle doit donc adapter son réglage de façon à obtenir une réaction efficace et stable. Les réglages possibles dépendent de l’inducteur : cible à attendre, style de motivation, visibilité. Dans certains cas, aucun réglage n’est possible et l’inducteur source d’instabilité ne pourra être utilisé. Les rétroactions positives sont quasiment impossibles à régler. Supervision des conflits L’intelligence propre des sous-systèmes, leur instinct de survie sont excités par L’induction comportementale. Il peut en résulter une instabilité qui se traduit en compétition ou en conflit selon qu’elle agit positivement ou négativement pour l’ensemble du système. Afin de maintenir la gestion au plus près du problème 2 moyens peuvent être utilisés pour résoudre les conflits : 1) La détection interne du conflit est en apparence aisée : il suffit de prendre conscience de leur existence. les systèmes concernés ne sont pas censés se superviser entre eux, l’existence d’inducteurs révèle une corrélation issue du mode de management, et plus précisément de la gestion de la performance. - Les inducteurs ouverts en perception sont de nature compétitive. Le responsable de ligne qui louche vers l’unité voisine cherchera à faire mieux sans pour cela déstabiliser celle de son collègue. - Les autres inducteurs sont de nature conflictuelle : l’émission de leurres à destination du compétiteur vise à diminuer sa performance pour faciliter la prise d’avantage. L’existence de conflits devrait donc être référée au système supérieur qui sera en mesure d’ajuster les inducteurs responsables de cette situation. 2) En pratique, cette situation n’est pas révélée spontanément au système supérieur, trop proche et trop préoccupé par ses propres objectifs qui ne sont pas affectés de manière visible et à court terme. La boucle algédonique intervient ici efficacement parce qu’elle doit « sauter » au moins un niveau hiérarchique. Le système d’ordre supérieur qui perçoit la difficulté pourra en analyser les causes avec les intéressés et corriger ses propres objectifs externes de manière à éliminer le conflit. 4. Conclusion La gestion de la performance est au cœur de la transformation permanente de l’entreprise, organisme vivant, qui évolue intelligemment au sein de son écosystème social, économique, environnemental. En dépassant la notion restreinte d’indicateur de performance qui s’avère être un type particulier d’inducteur comportemental, il est possible de gérer la performance au niveau local de manière à contribuer positivement à l‘intelligence globale de l’entreprise. Cette gestion locale doit être cohérente avec les objectifs, la mission de l’entreprise. Dans la réalité, chaque sous-système, chaque responsable, chaque individu agit toujours en premier lieu dans son propre intérêt, même si l’on peut insuffler une certaine dose d’altruisme et de conscience supérieure. En assurant un relais de motivation du haut vers le bas de la hiérarchie décisionnelle, on assure l’alignement descendant des objectifs. Ceci est possible en asservissant l’inducteur comportemental géré aux objectifs externes, eux-mêmes déduits aux objectifs internes, suscités – entre autres -par les inducteurs comportementaux subis, et ceci au niveau de chaque sous-système ou entité organisationnelle. Il convient également de prendre en compte la dynamique des réactions suscitées par les inducteurs comportementaux à court et long terme, et de porter une attention particulières aux conflits peuvent prendre le pas sur la compétition. La boucle algédonique permet de détecter les conditions d’inconfort révélatrices de ce type de perturbations.